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Disparition de Russell Banks

© Chase Twichell

 

C’est avec une immense et profonde tristesse que nous vous annonçons le décès de Russell Banks, survenu ce dimanche 8 janvier, des suites d'un cancer.

Né en 1940, Russell Banks, deux fois finaliste du prix Pulitzer, était assurément l’un des écrivains majeurs de sa génération et l’un des plus engagés. Il n’a eu de cesse depuis plus de quarante ans de mettre en scène des personnages issus de l’Amérique profonde, confrontés à l’adversité de la vie. Lui-même grandit dans un milieu extrêmement modeste, rongé par l’alcoolisme et la pauvreté, marqué par la violence d’un père qui déserte le foyer quand Russell a douze ans. Son œuvre, composée d’une vingtaine de textes de fiction et de non-fiction, traduite dans plus d’une vingtaine de langues et publiée en France par Actes Sud, a obtenu de nombreuses distinctions internationales. On lui doit notamment les romans Continents à la dérive (1985), Sous le règne de Bone (1995), American Darling (2004), Lointain souvenir de la peau (2012), le recueil de nouvelles Un membre permanent de la famille (2015), le recueil de récits Voyager (2017) et tout récemment Oh, Canada (2022) qui s’est révélé comme son roman testamentaire : «  II est rare – et très impressionnant – qu’un roman traite ainsi de la mort, sans la moindre gêne […]. » Florence Noiville, Le Monde des Livres

Deux de ses œuvres ont été adaptées au cinéma : De beaux lendemains (réalisé par Atom Egoyan – Grand prix au festival de Cannes 1997) et Affliction (réalisé en 1997 par Paul Schrader).

Russell Banks, qui a enseigné l’écriture à l’Université de Princeton aux côtés de Joyce Carol Oates et de Toni Morrison, était membre de la prestigieuse American Academy of Arts and Letters et fut président du Parlement international des écrivains chargé de défendre les écrivains victimes de persécution. Il avait été nommé en 2014 Officier de l'Ordre des Arts et des Lettres par le ministère français de la Culture, avant de recevoir en 2022 la mention spéciale du jury du prix du Meilleur livre étranger pour l’ensemble de son œuvre.

 

 

Les mots de son amie Stéphanie Janicot

« Russell Banks, décédé ce dimanche 8 janvier, était aimé du public français qui voyait en lui un ardent critique des dérives de l’Amérique contemporaine. Son œuvre n’en est pas moins puissamment américaine.

S’il se prêtait volontiers au jeu des journalistes français qui raffolaient de l’entendre critiquer la politique américaine, notamment lors des années Bush ou Trump, Russell Banks n’a jamais été dupe du rôle que l’on cherchait à lui faire tenir dans les médias français. En privé, il reconnaissait adorer son pays, lui dont la trajectoire de vie avait été si brillamment américaine. Né le 28 mars 1940 dans le Massachusetts, aîné de quatre enfants, il grandit dans le Vermont, entre un père plombier qui désertera le domicile lorsqu’il aura 12 ans et une mère au tempérament narcissique dont il se sentira toute sa vie responsable. Projeté trop vite dans le monde des adultes, il a à peine 20 ans qu’il est déjà marié, père d’une première fille, cherchant tant bien que mal des petits boulots, plombier, pompiste, pour assurer la subsistance de son foyer. L’un de ses deux jeunes frères est enrôlé dans la guerre au Vietnam.

Heureusement, les Trente Glorieuses américaines sont propices à l’espoir et à l’ascension sociale. Russell Banks divorce, se remarie, reprend des études de lettres, devient père de trois autres filles et bourlingue pas mal, notamment en Jamaïque où il part vivre quelque temps avec sa famille. Il lui en restera un réel attrait pour les Caraïbes, Cuba (où il rencontrera Fidel Castro), la Floride (où il passera la plupart de ses hivers).

Ses premiers écrits paraissent au milieu des années 1970, mais sa reconnaissance internationale d’écrivain lui vient en 1985 avec Continental Drift (d’abord traduit par Terminus Floride puis par Continents à la dérive). Suivront De beaux lendemains, magnifique roman sur la douleur et la culpabilité lors de l’accident d’un bus scolaire, adapté au cinéma par Atom Egoyan (grand prix au Festival de Cannes 1997) ou Affliction, critique acerbe et magistrale des valeurs viriles américaines à travers l’effondrement d’un homme, adapté par Paul Schrader. 

Son roman préféré, Moby Dick de Herman Melville, était la métaphore de ce qu’il aimait et défendait : une société américaine multiraciale embarquée sur un même navire. Il n’a cessé de chercher, dans son œuvre, à rendre aux Noirs américains leur place dans l’histoire des États-Unis. Son roman, Cloudsplitter (Pourfendeur de nuages), rend hommage à l’abolitionniste John Brown qui aida nombre d’esclaves en fuite à passer la frontière canadienne.  

Il y a à peine quelques mois, il nous disait dans La Croix : « En normalisant le racisme, la misogynie, la xénophobie, en révisant notre passé pour en faire une histoire de Blancs, le Parti républicain est devenu un adversaire plus qu’un opposant loyal. » Ce qui résume tout ce contre quoi cet homme, profondément démocrate, s’est toujours battu. Les questions de classes sociales et du racisme étaient au cœur de son œuvre. Il aimait particulièrement deux de ses romans, American Darling, portrait d’une femme complexe qui tente de s’installer au Liberia, en Afrique, pour l’adaptation cinématographique de laquelle Cate Blanchett fut pressentie, et Lointain souvenir de la peau, histoire d’un jeune homme de Miami, pris au piège des perversions de la société contemporaine, deux des images de cette Amérique paradoxale qu’il a déroulées au fil de ses livres. Cela ne l’empêchait pas d’aimer les voitures américaines, son pick-up rouge qu’il conduisait dans les Adirondacks (théâtre montagneux d’un grand nombre de ses romans, notamment La Réserve), d’aimer la musique country, Neil Young ou Johnny Cash, et même d’avoir tenté, voici une dizaine d’années, d’apprendre à jouer du banjo.  

Russell Banks était fier d’avoir enseigné l’écriture (creative writing) à l’Université de Princeton aux côtés de Joyce Carol Oates et de Toni Morrison. « Aucun de nous trois, pauvre, noire, femme, n’aurait pu suivre de telles études », s’amusait-il, c’était une belle revanche sur la vie. Il était fervent de poésie et admirateur de son épouse, la poétesse Chase Twichell. Il n’excluait pas de se mettre un jour, dans son grand âge, à la poésie. Son dernier ouvrage, Oh, Canada, mettait en scène un réalisateur canadien atteint d’un cancer en phase terminale. Lorsqu’on lui demandait s’il ne craignait pas que ce soit prémonitoire, il répondait que la mort était la grande affaire de la vie, que tout écrivain ne fait guère qu’écrire sur ce sujet, qu’il n’y avait pas matière à s’inquiéter. Hélas quelques semaines plus tard, il se découvrait atteint de leucémie et d’un cancer de la gorge. Durant ces derniers mois, il est resté positif et enjoué, écrivant à ses amis sa chance d’être si bien entouré et d’avoir eu une si belle vie ! High class ! »

Stéphanie Janicot (La Croix, 8 janvier 2023)

 

Bibliographie

septembre, 2022
14.50 x 24.00 cm
336 pages
23.00€
janvier, 2021
11.00 x 17.60 cm
544 pages
12.30€
octobre, 2019
11.00 x 17.60 cm
432 pages
10.20€
mai, 2017
14.50 x 24.00 cm
320 pages
22.50€
octobre, 2016
11.00 x 17.60 cm
240 pages
8.30€
octobre, 2016
14.50 x 24.00 cm
448 pages
23.00€
janvier, 2015
11.50 x 21.70 cm
240 pages
22.00€
janvier, 2015
11.00 x 17.60 cm
160 pages
7.30€
septembre, 2013
11.00 x 17.60 cm
544 pages
10.30€
mars, 2012
11.00 x 17.60 cm
448 pages
10.70€
mars, 2012
14.50 x 24.00 cm
448 pages
24.20€
octobre, 2009
11.00 x 17.60 cm
384 pages
9.20€
novembre, 2008
11.00 x 17.60 cm
0 pages
30.10€
mars, 2008
11.00 x 17.60 cm
432 pages
10.20€
mars, 2008
11.50 x 21.70 cm
384 pages
23.40€
janvier, 2007
11.00 x 17.60 cm
576 pages
11.20€