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Photo Poche fête ses 40 ans !

Photo poche

 

Lorsqu’il est nommé directeur du Centre national de la photographie (CNP), à sa création en 1982, Robert Delpire propose à Jack Lang, alors ministre de la Culture, de créer une collection d’ouvrages accessibles à tous. Photo Poche, première collection de livres de photographie au format de poche, naît de la vision d’un éditeur d’exception et de l’influence d’un contexte politique favorable aux innovations culturelles. L’instauration du prix unique du livre ou la création de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles permettent un rapide épanouissement de la collection. Dès les premiers titres, Nadar (n° 1), Henri Cartier-Bresson (n° 2), le succès en librairie est immense.

Au cœur de ce projet éditorial, “un effort de vulgarisation, une volonté de mettre à la portée de toutes les bourses des livres soigneusement réalisés[1]”, énonce Robert Delpire qui a saisi l’intérêt croissant du public pour la photographie, en attente d’ouvrages de qualité, disponibles à petit prix.

Car Photo Poche, c’est une attention particulière portée à l’objet, tant à sa conception qu’à sa fabrication. Chaque numéro relève le défi de laisser s’exprimer les images dans un petit format. Le rythme soutenu de l’iconographie offre une rétrospective séquencée de l’œuvre d’un photographe et les textes signés par des experts assurent la vocation didactique de la collection.

En 2019, Géraldine Lay reprend, au sein d’Actes Sud, la direction de Photo Poche et entreprend d’en élargir le champ et la portée géographique. À l’occasion du quarantième anniversaire, elle initie une nouvelle identité graphique dont elle confie la création à Pierre Péronnet et à Wijntje van Rooijen, selon un principe d’équilibre entre héritage et renouveau. L’aplat noir de la couverture laisse place à un fond blanc bordé d’un liseré subtilement coloré, où l’image circule en jouant avec le titre, plus affirmé. La refonte de la maquette intérieure accroît le confort de lecture, autant de l’image que du texte.

Si dans les premiers temps, il a fallu convaincre les grands noms de la photographie de se prêter au format singulier de Photo Poche, aujourd’hui être publié dans cette collection est devenu le signe de la consécration d’une œuvre. En 2022, alors qu’elle fête ses 40 ans, Photo Poche ambitionne de continuer à faire vivre les classiques tout en accueillant d’autres cultures et de nouvelles formes de la photographie contemporaine.

[1] Citation extraite de C’est de voir qu’il s’agit, de Robert Delpire, écrits et propos réunis par Michel Christolhomme, éditions Delpire, 2017. Reproduite avec l’aimable autorisation des éditions Delpire.

 

 

 

 

Historique Photo Poche

 

Dernières parutions

Charlotte Perriand Erwin Blumenfeld Sophie Calle Klavdij Sluban Frank Horvat Samuel Fosso

 

 

 

Entretien avec Clara

 

Clara Bouveresse, en tant qu’historienne de l’art, comment appréciez-vous le rôle de la collection Photo Poche dans la diffusion de la connaissance de la photographie ?

C’est une collection historique qui a été créée en 1982 par Robert Delpire, qui alors était éditée par le Centre national de la photographie. On est dans un moment particulier, celui des années 1980, avec le ministère de la Culture dirigé par Jack Lang et le gouvernement socialiste qui donne une vraie impulsion en faveur de la photographie. L’idée du gouvernement socialiste est de valoriser des formes d’expression artistique qui peuvent toucher tout un chacun, comme la photographie qui est pratiquée par beaucoup de monde. Cette politique ne concerne pas seulement la photo mais aussi la bande dessinée, par exemple. C’est la volonté de démocratiser la culture, de s’intéresser à des formes culturelles qui étaient moins privilégiées auparavant. La collection Photo Poche s’inscrit dans cette perspective de démocratiser l’accès à des livres d’art de belle facture, de qualité. Ce sont des livres de petit format qui ne sont pas chers et qui en même temps proposent une belle qualité d’impression et un contenu très réfléchi. Je pense que la collection Photo Poche participe de toutes les initiatives qui font que la photographie est vivante en France. Elle est partagée et admirée par des amateurs, des passionnés, qui peuvent collectionner des livres, comme les Photo Poche. D’autres initiatives sont comparables, comme les Rencontres d’Arles où de nombreuses personnes participent à cette fête de la photographie, ou encore des expositions de photographie qui connaissent un grand succès. Je pense que la photo en France est un art très populaire, qui réunit un large public, et la collection Photo Poche a participé à ce succès.

Quand et comment avez-vous découvert cette collection ?

J’ai commencé à m’intéresser à la photo quand j’avais environ quinze ans. Dans les librairies des musées, les seuls livres qui m’étaient accessibles, c’étaient les Photo Poche – parce que les grands catalogues coûtent très cher, et quand on a une quinzaine d’années, on n’a pas beaucoup d’argent. C’étaient des livres qui pouvaient rejoindre ma propre bibliothèque. Il y a des Photo Poche que j’aime beaucoup. J’aime bien le numéro 2 sur Henri Cartier-Bresson. Vous imaginez, quand on est jeune et qu’on découvre l’œuvre d’Henri Cartier-Bresson, c’est un monument, très impressionnant. J’aime aussi le numéro 100 qui est un numéro anniversaire un peu spécial, qui s’intitule Je ne suis pas photographe, et réunit de nombreuses personnalités qui ne sont pas des photographes mais qui ont utilisé la photo. C’est une sélection très éclectique, très riche, il y a des écrivains, des voyageurs, et c’est à mon avis une sorte d’hommage à la façon dont la photographie traverse nos vies et concerne tout un chacun.

Avec Sarah Moon, vous avez élaboré les numéros 160, 161 et 162 de la collection, trois volumes réunis sous le titre Femmes photographes. Racontez-nous l’histoire de cet objet.

Dans l’histoire de la photo, au cours des années 1970, il y a eu des initiatives pour mettre en avant les femmes photographes. On s’est rendu compte qu’elles n’avaient pas les mêmes opportunités, la même visibilité que les hommes. Puis depuis le début des années 2000, cet élan a pris une ampleur importante. Robert Delpire était bien entendu conscient de ces disparités et des disparités y compris au sein de sa collection puisque dans Photo Poche, sur à peu près cent monographies, on avait seulement une dizaine de femmes, ce n’est vraiment pas beaucoup. Robert Delpire avait donc décidé de faire trois volumes entièrement consacrés aux femmes. Ce n’est évidemment pas une façon de réparer ou de rendre justice. C’est plutôt un geste pour dire : aujourd’hui on est conscient que les femmes photographes n’ont pas forcément eu les mêmes opportunités que les hommes et on avance dans une nouvelle direction, même si bien sûr, ce qui va devenir très important pour cette collection, c’est de publier des monographies consacrées aux femmes, au même titre que les hommes, ce qui est déjà le cas mais qui doit se développer plus encore, à l’avenir. Robert Delpire, malheureusement, est mort et le projet a été repris par son épouse Sarah Moon, avec Michel Poivert, historien de la photographie. Ils m’ont ensuite demandé de participer à ce projet. C’est un magnifique projet de plonger dans l’histoire de la photographie et finalement de raconter cette histoire uniquement par le prisme des femmes photographes, sur tous les continents, à toutes les périodes. Effectivement, il y a eu tellement de femmes photographes qu’on arrive à couvrir à peu près tous les sujets : de la photo scientifique, documentaire, artistique, publicitaire, à la photo de mode, de voyage. C’est une sorte de traversée de l’histoire de la photo mais uniquement dans le regard des femmes photographes.

Clara Bouveresse, historienne de la photographie et autrice du coffret Femmes photographes, Photo Poche n° 160, 161 et 162 (2020), réalisé en collaboration avec Sarah Moon

 

 

Entretien avec Samuel Fosso

 

 

Samuel Fosso, pouvez-vous nous parler de la collection Photo Poche et nous dire ce qui, pour vous, la différencie des autres livres de photographie ?

L’une des grandes différences, c’est que la collection Photo Poche permet à ceux qui aiment mes photos et qui n’ont pas les moyens d’acheter le catalogue de l’exposition de découvrir ce que je fais avec ce petit livre. C’est donc une question de bourse.

Que représente pour vous le fait d’être publié dans la collection Photo Poche ?

Tout d’abord, ça permettra aux gens qui ne me connaissent pas ou à ceux qui ont entendu parler de moi de mieux me connaître grâce à ce livre qui sera publié bientôt. Ça leur permettra de comprendre ce que je veux dire à travers la photo. Parfois, les gens disent que je fais de la politique, mais je ne fais pas de politique, je ne fais que montrer ce qui s’est passé hier et aujourd’hui. Ça leur permettra de mieux comprendre le message que je veux faire passer dans le livre.

Pouvez-vous nous parler de la conception de votre Photo Poche ?

Le Photo Poche a été conçu avec Christine Barthe, une femme que je connais très bien, qui travaille au musée du Quai Branly Jacques Chirac. On a fait ensemble la sélection de ces photos issues de séries différentes : celle du début de ma carrière dans les années 1970 et celle du milieu des années 2000.

Comment êtes-vous devenu photographe ?

Comme beaucoup en Afrique, j’ai commencé la photographie en tant que photographe commercial. J’ai créé mon studio le 14 septembre 1975 (à l’âge de treize ans), après mon apprentissage auprès d’un voisin photographe. Je n’ai pas fait d’études mais la photographie fait qu’on apprend. Les gens me passaient commande de reportages au moment des cérémonies, des mariages, des baptêmes. Dans le studio, les gens venaient le soir pour des portraits, d’autres pour des photos de leurs bébés, eux aussi venaient souvent le soir. De nos jours les photos sont très faciles à faire grâce au numérique, en ces temps-là, c’était différent, il fallait acheter des pellicules, des lots de pellicules. J’avais un appareil qui prenait les pellicules de 6 x 6, ce sont des pellicules un peu carrées de 12 poses. Par soir, j’utilisais jusqu’à deux ou trois rouleaux. Et une fois que j’avais fini la séance, si je n’avais pas totalement vidé le dernier rouleau, alors je me prenais moi-même en photo. C’est comme ça que tout a commencé !

Que représente pour vous un livre de photographie ?

Avant tout, comme dans beaucoup de familles africaines, personnellement, je ne connaissais pas ce qu’on appelle “art”. Ce que représente pour moi un livre de photo ? C’est comme des souvenirs parce qu’il y a des photos anciennes, qui sont devenues des souvenirs, et il y a des photos plus récentes, comme le pape, African Spirits… Ensuite, un livre de photo, c’est pour moi l’occasion de faire passer un message, de faire savoir ce que nous autres, Africains, avons vécu, souffert. Les étudiants n’apprennent pas ces histoires parce que tout ce qui concerne l’esclavage et la maltraitance n’est pas évoqué à l’école : il n’y a pas de manuel scolaire qui traite de ces thématiques. Pour moi, c’est une façon, comme dans mes expositions, au musée du Quai Branly, à la Tate Gallery à Londres, au MoMA à New York, de faire comprendre ce que nos ancêtres ont souffert avant que nous soyons à cette place aujourd’hui.

 

Samuel Fosso, photographe, Photo Poche n° 168 (parution juin 2022)

Introduction de Christine Barthe

 

Entretien avec Édith Guinard

 

 

Édith Guinard, quelle place occupe la collection Photo Poche au sein des livres de photographie ?

Ça fait quelques années que je travaille en librairie et le Photo Poche a toujours eu une importance pour moi. Importance en tant que livre de photo dans une librairie, même si c’est un petit livre, parce qu’il représente tout le travail d’un photographe. J’ai une préférence pour les grands livres mais ce petit Photo Poche est très important. D’ailleurs on en vend beaucoup à la librairie.

Qui sont les lecteurs de Photo Poche ?

Je ne pense pas qu’il y ait une catégorie de gens spécifique : autant les jeunes que les moins jeunes achètent les Photo Poche. Peut-être que les plus âgés en achèteront davantage parce qu’ils en font la collection. Ils ont tous les numéros : on voit des gens qui viennent avec leur calepin, ils regardent le numéro qu’ils n’ont pas et le réclament ; parfois ils réclament même des numéros qui ne sont pas encore sortis.

Comment avez-vous découvert cette collection ?

Je l’ai découverte par ces gens qui faisaient la collection, qui venaient pour avoir tous les numéros. Je m’imaginais comment c’était chez eux, j’imaginais les étagères remplies de Photo Poche. Et puis, c’est un petit livre qu’on peut montrer, qu’on peut échanger entre amis à la maison. “Tiens, tu ne connais pas tel travail…” Tout le travail d’un photographe devient plus accessible. Pour chaque exposition, je me dois d’avoir à la librairie les Photo Poche des photographes exposés, et ça a énormément de succès ! Les gens qui n’ont pas les moyens d’acheter un livre à 80 euros peuvent s’offrir le Photo Poche.

Je me souviens que lorsqu’Actes Sud a acquis la collection, la façon de présenter le Photo Poche a évolué avec une double page en première et en dernière de couverture, ce qui solidifie le livre. Je trouvais ça très beau. La prise en main est très agréable. Et on peut le mettre dans sa poche, se balader avec… Il n’y a rien à dire, c’est formidable, bien sûr, que ce soit en noir et blanc ou en couleur, c’est parfait !

 

Édith Guinard, responsable adjointe de la librairie de la Maison Européenne de la Photographie

 

Entretien avec Klavdij Sluban

 

 

Klavdij Sluban, que représente pour vous le fait d’être publié dans la collection Photo Poche ?

C’est une question piège ! En fait, la question devrait être : “Qu’est-ce que ça vous fait d’être vivant et d’être publié dans la collection Photo Poche ?” Entre Photo Poche et moi, c’est une longue histoire parce que cette année on fête les 40 ans de Photo Poche et il y a 40 ans j’avais 19 ans. En 1981 : je vote pour la première fois, je viens d’avoir 18 ans – et on a gagné. S’ensuit tout ce qui nous manquait avant, c’est-à-dire une ouverture sur la culture et puis surtout sur la photo. Je pratiquais la photographie depuis l’âge de 14 ans. Le CNP et la collection Photo Poche m’ont accompagné. C’est avec eux que j’ai fait mon éducation de l’œil. Puis, j’ai rencontré Robert Delpire. Robert a été un tuteur. Il y a peu de gens qui savent regarder les photos... Je montrais mes photos à Robert Delpire et une fois qu’il avait fait une critique, toujours constructive, une fois que je ressortais d’un rendez-vous avec lui, je comprenais beaucoup de choses que je ne comprenais pas avant. J’ai participé à cette aventure dès l’origine.

En juin 2022 paraît votre deuxième ouvrage dans la collection Photo Poche. Pouvez-vous nous le présenter ?

Est-ce que c’est le deuxième ou le second ? Nous verrons… mais en tout cas, le numéro 2 sort en librairie dans quelques semaines. Je rentre de Vérone où nous avons imprimé le Photo Poche, il y a exactement trois jours – j’ai les doigts encore pleins d’encre. Comment montrer en… disons à peu près 70 photos, une vie de travail ? Finalement c’est très sain, c’est très bon pour un photographe, en tout cas pour moi. Je suis allé à l’essentiel et c’est comme ça que je me suis rendu compte – je travaille par cycles sur lesquels je passe plusieurs années – qu’il y a des cycles entiers que j’ai mis à la poubelle, mis de côté. Le but n’est pas de montrer que j’ai voyagé dans de nombreux pays, le but, c’est de montrer que pendant ces trente ans de travail, dès le début, il y a eu un fil rouge qui est mon écriture photographique.

Comment avez-vous abordé la conception du Photo Poche ?

Pour moi, ça n’a pas consisté à fouiller dans mes archives parce qu’au fur et à mesure que je travaille, je décortique chaque voyage, chaque cycle. Je travaille tellement dessus. C’est comme une partition de musique. Là où la conception de ce livre a été importante, jusqu’à l’avoir tout le temps en tête, c’est que cette collection est, pour moi, la Pléiade de la photographie. Et je l’ai faite sans pression parce que j’éprouvais une telle jubilation, certes, une jubilation angoissante. Mais c’était bon de décaper, et les photos qui ont été choisies, ce sont celles qui se sont imposées, ce sont celles qui ont prouvé qu’elles avaient une raison d’être. Publier dans cette collection impressionne, finalement, davantage les autres. Les autres pensent que je suis un bon photographe parce que je publie dans Photo Poche, alors que je sais comment je travaille et combien c’est difficile parfois.

À Vérone, c’était impressionnant d’observer la concentration, l’intensité de toutes les personnes qui travaillaient sur ce projet, et bien sûr les gars qui étaient aux machines. La responsable de l’imprimerie a dit : “C’est la collection qui nous fait le plus peur parce que c’est le travail d’une vie.” Ça a été un pur bonheur parce que la qualité d’impression est excellente. On a travaillé pendant un an avec Géraldine Lay et son équipe. Après Robert Delpire, Géraldine a réussi à renouveler la collection avec cette nouvelle maquette. Je ne crois pas aux hasards et il s’avère que je suis l'un des premiers à être publié avec cette maquette. Ça me touche beaucoup. Son parti pris est tellement assumé. Il fallait le faire, il fallait oser, faire oublier la marque de fabrique de Photo Poche pendant 40 ans. Avec cette nouvelle présentation, je pense que Photo Poche est entrée dans une nouvelle ère, contemporaine, et c’est reparti je pense pour plusieurs siècles.

Un souvenir de la collection Photo Poche ?

Mon unique apprentissage de la photographie a été un stage d’une année avec Georges Fèvre, qui était un maître du tirage chez Picto ; il était le tireur des plus grands photographes de l’époque. L’année où j’ai fait mon stage avec lui, il est arrivé un jour avec une grande planche avec des photos dans tous les sens et l’a accrochée au mur. Il était en train de faire un Photo Poche. Pour la première fois, je voyais à quoi ressemblait un livre avant qu’il soit façonné. C’était impressionnant. Et quarante ans plus tard, j’ai vécu la même chose, j’ai vu cette feuille sortir de la machine et être accrochée au mur, ce qui m’a beaucoup ému. Photo Poche, c’est comme une histoire de famille.

 

Klavdij Sluban, photographe, Photo Poche Société n° 12 (2005) et Photo Poche n° 169 (parution juin 2022) Introduction de Zeljko Kozinc

Notices de Christine Delory-Momberger

 

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